28 octobre 2006

Exagérément optimiste


Dans ce genre de boulot, et de surcroît là où je suis, il faut être exagérément optimiste. C’est ce que dit aussi Toni Morrrison, la romancière américaine dernière prix Nobel de littérature.
Loin de là l’idée, même minime, de me comparer à elle.
Elle a raison. Et comme elle est prix Nobel, ce quelle dit doit être pris en compte.

Optimiste, qu’est-ce que ça veut dire ? Et pourquoi faudrait-il l’être ? Et exagérément, en plus !

Parce que d’abord, t’as pas le choix. Ou tu y crois ou tu te tires en courant. Je suis resté, et tous les collègues aussi. C’est donc qu’on pense qu’il est possible de faire quelque chose et que ce que l’on fait sert à quelque chose. A moins que notre raison ne se soit altérée au fil du temps et des épreuves. C’est aussi une hypothèse recevable.

Vous aurez compris que je préfère et choisis le premier terme de l’alternative.

Deuzio parce qu’en termes d’éducation et d’instruction, il faut toujours croire au meilleur pour que le bon survienne. Si tu pars désabusé, battu d’avance, autant t’asseoir par terre ou choisir un autre job.

Tu sèmes de petites graines de salades. Et, même si tu n’as pas trop la main verte, il y a de grandes chances pour que ça sorte et que ça grandisse. Si tu arroses tant soit peu, tu pourras même en mettre dans ton saladier.

Avec les gamins, c’est pas tout à fait pareil. Tu laboures, plus ou moins profond, tu sèmes et des fois la récolte est bien maigre. Ou il n’y a pas de récolte du tout. Tout au moins, dans l’immédiat. Tu peux même re-semer.

En fait, t’es pas spécialement là pour voir tout de suite les fruits ou la récolte. T’es juste ensemenceur.

Dans tous les cas, il faut une conviction en acier trempé. Et même plus si possible. Il faut croire que tout est possible, même chez le plus mauvais. Avec des grands mots, principe d’éducabilité, ça s’appelle.

Et ne tordez pas le nez. Ne haussez pas des sourcils dubitatifs ou des épaules dédaigneuses.
Comment donner l’envie, le désir si tu ne l’as pas toi-même ? Bien sûr, après, il y a la technique, le savoir- faire. Ce qu’on appelle la pédagogie. Mais sans cette envie - cette foi, allais-je – tout ça risque d’être justement trop technique, un peu désincarné. Pas très humain. Certes perfectible, parfois bricolé, pas toujours au top. Mais très efficace.

Après, il y a des débats sur l’emploi de telle ou telle méthode. Débats techniques, pugilats à coups de mots, injonctions et noms d’oiseaux, parfois. Ridicule, souvent. Néfaste, toujours. Mais ce n’est pas le plus important. L’essentiel, c’est d’y croire et de donner l’envie.

L’optimisme à tout crin. Parions sur ce cheval là. Même avec un lourd handicap, il franchira les haies et la ligne d’arrivée.

Peut-être en vainqueur. Qui sait ?

27 octobre 2006

Drôle d’anniversaire


Avec ce temps estival d’automne, je me suis dit : tiens je vais aller faire quelques photos dans le quartier. Je me suis donc baladé, presque comme un touriste, au pied des trois grands immeubles qui jouxtent l’autoroute et qui vont être démolis en 2008.
Je vais de temps en temps dans ce qu’il reste de ce quartier de Montchovet faire des clichés qui serviront de mémoire et, qui sait, donneront peut-être matière un jour à un livre ?
J’ai rencontré là deux de mes élèves. Qui tournaient en rond, désoeuvrés, dans le minuscule square qui leur sert de terrain de jeu et d’évasion.
Ils étaient sincèrement heureux de me voir là – « c’est le maître ». On a fait quelques photos, bien sûr, et je leur ai expliqué pourquoi je faisais ça. Ils ont tout de suite compris l’enjeu de la démarche. Quelques grands se sont joints à la conversation. Re-séance photos, pour les plus grands, bien sûr.
Il y avait le soleil, merveilleusement tiède, et nous, au pied de l’immense barre bleue, avec quelques paraboles ici et là. Il doit rester tout au plus une vingtaine de familles en attente imminente d’un logement. Avant que tout tombe sous les assauts des grues et des bulls.
Il y avait aussi, ce matin-même, à la radio, des reporters qui parlaient « d’anniversaire » : il y a tout juste un an commençait l’embrasement des quartiers et des banlieues.
Ici, ça n’avait pas tellement bougé, ou brûlé. Quelques escarmouches ici ou là. Ça aurait pu, pour un quartier en fin de vie et dans lequel les quelques habitants qui restent se débattent dans de grosses galères.
J’ai donc parlé avec eux, ces jeunes amers et désabusés, qui ne croient plus à grand chose.
Ils allaient donc être obligés de partir d’ici : un crève-cœur pour eux. Pourtant, le tableau est loin d’être idyllique, avec ces grandes murailles laides, ces allées sombres et inhospitalières au possible. Et le ronflement incessant de l’autoroute à deux pas.
Mais, m’ont-ils dit, « c’est toute notre vie qui est ici. » Leur territoire, bien à eux. Et toute leur enfance, et les copains. Et toutes les rigolades et les coups tordus. Tout dans le même sac. La vie, quoi. Leur vie d’avant, qui allait être démolie. Eux aussi, du coup, se sentent fragiles, friables.

Dans leur tête, pour certains, un vaste chantier de démolition.

Qui va pouvoir les aider à reconstruire tout ça ?

25 octobre 2006

Tout sauf baisser les bras


Et voilà !
Ça fait 7 semaines de passées. Un petit coup d’œil dans le rétro.
De très préoccupante au tout début, la situation de la classe est devenue…disons à peu près gérable à la fin.
Remarquez bien : je n’ai pas dit normale. Parce que je ne me leurre pas. Avec eux et avec tous les problèmes qu’ils ont, cette classe ne sera jamais vraiment comme une autre.
On a commencé à poser des jalons, à mettre petit à petit et avec beaucoup de patience et d’obstination des rituels, un début d’organisation. Certains ont commencé à prendre conscience. Au fil des jours, des dialogues, des punitions ( eh oui, ça arrive) , des remarques, des mises au point, des remises au point ( j’ai pas dit au poing ), on a trouvé un début d’amorce de commencement de modus vivendi.
Mais tout ça si fragile, si précaire. Que la moindre anicroche pouvait remettre en cause.
Ils ont une attention si volatile avec un tel besoin d’écoute et de prise en compte de leurs problèmes. Chacun veut qu’on l’écoute, veut aussi parler, et souvent en même temps.
Des choses se sont mises en place. Il y eut quelques séquences d’où je repartais, et eux aussi, assez paisiblement, en me disant : tiens, là, ça le fait, on a pu avancer et s’écouter.
Mais le chemin est encore long, très long. Le projet personnel de réussite, pour quelques uns, ce sera une réussite toute petite, bien modeste. Un projet à leur hauteur, à leur échelle. Une échelle avec peu de barreaux. Mais l’essentiel est qu’ils les grimpent, ces foutus barreaux. Et, qu’en fin d’année, ils se tiennent un peu plus haut.
Si l’élève ne s’élève pas, et si on ne l’y aide pas par tous les moyens, alors à quoi ça sert qu’on soit là et qu’ils soient là ? A quoi ça servirait, alors, l’école ?
Modestes on est partis, modestes on restera. Tout sauf baisser les bras. Tout sauf l’impuissance ou le désespoir.
C’est sûr, j’aurai des doutes. C’est sûr, je vais perdre patience par moments. Ou je vais piquer quelques colères. Mais ne pas redouter le doute. Après tout, simplement humains nous sommes. Rien qu’humains. Et, pour cela, jamais vraiment désespérés. Croire à l’impossible, ne pas renoncer.
Ni eux ni moi.

24 octobre 2006

Pour qui le psy ?


Bienvenues, ces vacances de Toussaint.
J’ai une batterie qui tient un peu plus qu’un portable, certes : 7 semaines, c’est déjà pas si mal.
Mais là, elles étaient vraiment à plat.
Rien que là, ce mardi soir, de savoir que je vais penser à autre chose qu’à la classe, qu’à CETTE classe… rien que ça, et ça va déjà mieux.
OK, je sais : il y a des tas de boulots où tu n’as pas cette chance de pouvoir t’arrêter une semaine et demie toutes les 7 semaines. Je mesure bien cette chance-là.
Mais, franchement, s’il n’y avait pas ça, je me demande si ça serait jouable. Bien sûr, si on n’avait pas le choix, on le ferait.
Mais là, avec mes zozos, certains jours, j’étais à la limite de l’implosion.
Ironie de la situation : j’ai parlé plusieurs fois, avec la psychologue scolaire, de l’état mental plus que préoccupant de certains de mes élèves. J’ai eu un entretien avec les géniteurs de ces petits si perturbés.
Mais, je dois l’avouer, c’est moi qui aurais dû AUSSI avoir les services d’un psy. Histoire, déjà, d’avoir quelqu’un à qui parler de mes problèmes, de leurs problèmes. Avoir au moins, faute de conseils, une écoute, une oreille à qui se confier.
Souvent, on est cons : on n’ose pas parler de ses difficultés. Pourquoi, après tout, en aurais-je ? Si, après 33 ans de pratique, j’y arrive difficilement … Alors, comment vont les autres, surtout ceux qui débutent ? Bref, on s’autoculpabilise. On devrait pas.
On devrait avoir un soutien psychologique, nous aussi. Avant de péter un câble. Alors , on prend sur soi, on s’engueule, on se remotive, on s’auto-analyse, on s’introspecte. Pas trop bon tout ça parce qu’on reste en vase clos, entre soi et soi.
Combien qui sont dans ce cas, comme moi, et qui ne disent rien, et qui souffrent en silence. Cette fameuse loi du silence. Tout doit être sous contrôle, toujours. On est des professionnels, des vrais. Tu parles ! Rester dans le politiquement correct.
Alors, je rompts cette p… de loi du silence. Je m’épanche. Je fais part ouvertement de mes doutes, de mes faiblesses. Je pense que je ne dois pas être le seul dans ce cas, d’après ce que j’entends, ici ou là.
Si je me trompe, arrêtez moi.

20 octobre 2006

Ça va mieux en le disant


Discussion à bâtons rompus avec mon fils de 22 ans. Un de ses potes galère un maximum avec sa classe, du côté de Givors. Il faut dire que ce pote-là est passé par ma classe, il n’y a pas si longtemps, lorsqu’il était en formation à l’IUFM. Il débute juste… tout frais et déjà moulu dans une classe pas évidente d’une école d’un quartier « sensible », givordin donc – au bord du Rhône.
On va donc essayer de se voir rapidement. D’abord pour parler de ses soucis. Et puis pour voir ensuite comment il peut faire, très concrètement, pour gérer ces gamins apparemment pas évidents du tout à gérer.
Vous me direz : il va donner des conseils alors que lui aussi, il semblerait que ça ne va pas très fort avec ses propres ouailles…aïe aïe aïe !
Primo, après le début très hard de ces premières semaines, il semblerait que ça va un peu mieux. On s’apprivoise mutuellement. À moins qu’ils commencent à comprendre ce que j’attends d’eux.
Mais bon, je ne me fais pas d’illusion.Va y avoir des hauts et des bas. Et plutôt plus de bas que de hauts. C’est pas du cynisme quand je dis ça. Les montagnes russes de la pédagogie, ça me connaît. Et quand on prend un ticket pour toute une année scolaire, vaut mieux avoir les idées claires et l’estomac bien accroché.
Pour l’estomac, pas de problème. Pour les idées, pas de souci non plus. Non, ce qui me tracasse, c’est la mise en musique de ces idées. La pratique quotidienne. La gestion du groupe et des individualités, des particularités. Vraiment très très particulières cette année.
Ce sera donc une année particulière. Why not, my dear ?

16 octobre 2006

La lecture, ça rend baba


« B et A, ça fait BA et quand on le dit deux fois, ça fait BABA . »

Devant une telle citation, on peut rester baba. C’est pourtant un ministre qui a dit ça. Et pas n’importe lequel : le ministre de l’Education Nationale. Donc, mon patron.

Je reste donc soit confondu devant tant d’à propos soit consterné devant tant d’inanité.
Comme il s’agit de mon patron, j’opte pour la première solution. Je comprends bien ce qu’il a voulu expliquer, le boss : il faut revenir à des choses simples. Quitte à faire simpliste.
Sauf que, avec tout l’immense respect que je lui dois, la lecture, c’est pas si simple que ça. Et que la langue française, c’est complexe. Même à six ans, au C.P., ça ne s’enseigne pas si facilement.
S’il suffisait juste de faire des accrochages aussi fastoches …T et I, ça fait TI, bien évidemment, n’est-ce pas, mon PETIT ? Mais il faut faire bien ATTENTION, comme dans ce mot, justement.
Il y a aussi le mot, et puis le texte et le contexte. On sait tous ça. Même si on n’est pas tous ministres. Et on peut rester baba sans être forcément au rhum. Et tous les chemins de lecture ou d’écriture ne mènent pas au RHUM. Surtout que si tu ajoutes un E, ça change tout, prononciation et sens. Sortez vos mouchoirs ! Sans compter que si on est petit ou musulman ou contre l’alcool, tout simplement, on ne connaîtra jamais tout le goût, les fragrances et les subtilités de ce mot-là.

Mauvaise démonstration, donc. Et mauvais procès. Faux débat, dans tous les cas. Perte de temps, d’énergie, de sens. S’en tenir aux programmes, à ce qui a été élaboré, défini, approuvé par une commission prévue pour. Les I.O., ça s’appelle. Officielles, ces Instructions-là. Pas de contestation possible : on est tous payés pour les appliquer, les mettre en musique. Ce qu’on a toujours fait, d’ailleurs.

Alors, le B-A BA, écran de fumée ? Sûrement, aussi. Pas là le débat. Pas là du tout.
Rester cool, sans être baba-cool. Pas s’énerver. Moi qui vous cause, j’en ai connu quelques uns, de ministres…qui sont passés. Et pour certains, aux oubliettes.

C’est peut-être là, le nœud du problème : ils veulent laisser leur marque dans la postérité ; être LE ministre qui… Et c’est pas facile, comme exercice. Surtout devant micros ou caméras. Mais c’est le jeu des médias, surtout en ce moment : pousser à la faute, à la recherche de la petite phrase qui sera reprise partout. A ce petit jeu, certains ou certaines sont meilleures que d’autres.

Qui va distribuer les bons ou mauvais points ?

15 octobre 2006

Quelle égalité ?


Vous avez remarqué, c’est le refrain à la mode, presque une antienne – prononcez ça comme vous voulez : L’EGALITE DES CHANCES.

Belles intentions. Ça reprend même une des devises de la République. Et on prend même soin de rajouter, comme si ça suffisait pas : POUR TOUS.

On vit dans un beau pays, tout de même. Figurez vous que j’ai même rencontré et serré la main du personnage – il existe pour de vrai, il respire, boit et mange comme vous et moi, ce n’est pas un concept, une idée, non non – j’ai donc parlé pour de bon à celui qui est à la tête du
« ministère de l’égalité des chances. »

Faut pas rigoler avec ça. Je vais pas, d’ailleurs. D’abord, je le trouve plutôt sympathique, Azouz Begag. Azouz, comme tout le monde l’appelle. Ils s’adorent tous dans ce gouvernement. Et du Nicolas par ci. Et du Jean-Louis par là. Avec Dominique ou Jacques, ça semble un peu plus difficile. Mais bon, il est vrai qu’on arrive dans la stratosphère…

Donc, Azouz, respectable et tout. Et il y croit, à son truc. Il mouille le maillot. Il fait pas semblant, le gone ! Comme tout bon banlieusard de Lyon – qui n’est qu’à 60 km da la capitale des Gaules – je l’avais bien connu et apprécié en tant qu’écrivain plutôt talentueux, très sympathique et tout et tout.

Mais bon, « l’égalité des chances », c’est un beau titre pour une fiction. Dans la vie, la vraie, le premier benêt venu sait que c’est du pipeau. On raconterait même pas ça aux petits enfants pour les endormir le soir : « Ils eurent beaucoup d’enfants qui vécurent heureux au beau royaume de l’égalité des chances. » Bonne nuit …Dormez bien.

C’est un peu comme si moi, le directeur de cette école, je faisais marquer sur mes cartes de visites : « Gérard DI CICCO - Maîtrise d’Egalité des Chances. » Remarquez, ça en jetterait un max, non ?

Car, bien sûr, « l’égalité des chances », ça n’a jamais existé et ça n’existera jamais. Il faudrait toujours l'encadrer de guillemets, comme je le fais d'ailleurs ici. Selon que vous naissez rue Pierre Loti, rue Edgar Degas ou Cours Fauriel, c’est pas tout à fait pareil.
Selon que vous vous appelez Charles-Edouard, Latifa ou Samir, vous ne partez pas dans la vie avec les mêmes bagages, sur le même quai, dans le même train.

Au slogan racoleur et trompeur « d’égalité des chances », je préfèrerais un autre programme :
donner les mêmes moyens à toutes et à tous. Et, si possible, donner un peu plus à celles et à ceux qui démarrent dans la vie – dans des quartiers et des banlieues – où il faut en faire bien plus pour s’en sortir. Donc, juste retour des choses.

Sans tomber dans la « discrimination positive », non plus. Autre concept, d’origine bien anglo-saxonne, qui est en lui-même un fort déplaisant oxymore : je te discrimine, mais t’inquiète pas, c’est pour ton bien, tout ça est très positif, en fait. Tu parles ! Autant parler de racisme égalitaire, aussi, tant qu’on y est, ou de violence pacifique !!!

Tout ce que veulent ces enfants et ces jeunes, c’est qu’on leur donne de vrais moyens pour y arriver. Ils veulent le faire avec leur propre mérite, avec leur intelligence et leurs talents. Et ils en ont, pour beaucoup d’entre eux. Question de dignité et d’orgueil.

Egalité de moyens, donc. Qu'on y mette le paquet, tant qu'on y est. Pour le coup, ça voudrait vraiment le coût, un challenge pareil.

Qu’on laisse la chance aux casinos et aux joueurs de loto.

14 octobre 2006

Not so bad but not so nice


Une de mes amies, qui est allée sur mon blog, trouve le ton assez pessimiste. En gros, et avec des gants, elle veut signifier que ce que je dis n’est pas très marrant marrant.

Elle a sans doute raison.

Il faut que je me méfie de ça : le cynisme. Ce n’est pas parce que je fais ce boulot depuis maintenant 33 années – fichtre – que je dois sombrer…dans le sombre.
Pas faire non plus dans l’idyllique. Faut pas déconner. On n’est plus des enfants. Même et surtout s’il s’agit ici d’enfants, de leur présent et, un peu, de leur avenir.

Alors OK, Catherine – elle s’appelle Catherine, ou Cath pour ceux qui la connaissent bien –
on va mettre plus d’humour dans tout ça. Youkaïdi !!!

Mais ça ne m’empêchera de décrire les choses comme je les vois et comme je les vis. Sinon, à quoi bon bloguer et s’épancher sur le Net ? Si c’est juste pour débiter de la guimauve… il y a la télé et pas mal d’émissions et de feuilletons pour ça, non ?
On est juste là et je suis juste là pour parler de la vraie vie. Avec des hauts et des bas. Avec des vrais gens.Qui vivent, tout comme moi, des jours avec et des jours sans. Pas question d’embellir, de faire du soft avec du hard. Parce que ce que vivent ces gamins et ces familles, c’est pas toujours « l’île aux enfants. »
Ici, on n’est pas à Mickey-ville. Et même si les choses s‘arrangent, et encore pas pour tous, il y a encore du désespoir et des galères pour pas mal d’entre eux.

Alors promis, je tricherai pas. Il n’y aura pas non plus de scoops, du sensationnel. Laissons ça aux médias, et au public qui en est friand. Ben oui : il y a de l’offre parce qu’il y a de la demande ; et un marché pour ça. Tout le monde sait ça. Et ça chiffre en millions d’euros. On dirait même que le passage à l’euro a multiplié par 6, 56 et quelques les appétits, les bénéfices, les recettes. Mais par pour tous… Pas pour tous.

Bon Ok, je diverge, je m’égare un peu.

Promis, donc, je vais faire attention à ça. Il y aura une colonne « plus » et une colonne « moins ». Histoire d’équilibrer le menu.

A bon blogueur, salut !

12 octobre 2006

Pas facile !!!

Les pédagos, c’est bien connu, adooorent les réunions. Il paraîtrait même que certains se réuniraient pour discuter de l’opportunité et du contenu éventuel de la prochaine réunion…
Mouais…
Ça, c’est le cliché fastoche. Des fois, les réunions, ça sert … et pas seulement à se réunir.
Donc, à une de ces réunions, un de ces pédagos ayant déjà de la bouteille aurait dit : « On fait un métier pas facile ! »
Il parlait, bien évidemment, du boulot d’enseignant.
S’il entendait par là qu’on a affaire à des petits d’hommes et dans une société traversée par des doutes et des angoisses multiples, il a raison de dire cela.
Mais c’est justement parce que ce sont des petits d’hommes que ce que nous faisons est passionnant. C’est justement parce que cette société les trimballe, et nous avec, dans des croisières parfois agitées que ce que nous faisons avec eux a un sens.
Et puis il y a aussi ces regards qu’ils ont, ces émerveillements, encore, ces têtes penchées sur les cahiers, ce besoin d’être reconnu, et ce désir, tout de même, de comprendre et de grandir.
Il y a aussi, au-delà des difficultés ou du stress, ce lieu unique, la classe et l’école, où tous apprennent à vivre ensemble.
Métier pas facile, certes, mais dont la difficulté fait tout l’intérêt. Et même la beauté. J’aime bien lorsque je décline ma profession qu’on me déclare : « Vous faites un beau métier. »
Je le prends non comme un compliment mais comme une évidence : nous faisons effectivement un « beau » métier. Ça, je ne l’ai jamais oublié, même quand ce n’était pas facile. Et encore aujourd’hui, où ma mission touche à sa fin.

07 octobre 2006

Désir de classe


Cela fait un peu plus d’un mois que nous sommes ensemble, les élèves et moi.
Pour faire court, on va dire que ça va un peu mieux.

À savoir : on commence à entrer dans les apprentissages ; il y a de moins en moins de situations bloquées ; les « manifestations psychiques intempestives » s’estompent, tout doucement, un peu comme un fleuve en crue qui regagne doucement son lit d’origine.
Globalement, disons que la classe est à peu près vivable.
J’essaie, et les collègues avec moi, d’analyser pour comprendre, un tant soit peu. On ne peut en effet s’en tenir à l’amer et ressassé constat : les élèves de maintenant sont plus difficiles que ceux d’avant. Une fois cela dit, et reste à vérifier si c’est vrai partout et tout le temps, il reste à séparer l’irrationnel du rationnel, le ressenti du réellement vécu.

Tenons nous en à ce qui nous concerne, à savoir cette école de quartier.
Premier constat : il faut bien un bon mois que les enfants que nous avons accueillis fin août commencent à prendre conscience que, le portail franchi, ils deviennent des élèves avec les devoirs et les contraintes que cela suppose.
Pour certains, c’est assez facile. Pour d’autres, c’est un peu plus long. Et, pour certains, ça risque d’être encore très long, avec des hauts et des bas.

Mon gros souci, ce n’est pas tant la gestion de ce groupe classe si particulier – et c’est un vrai euphémisme, croyez-moi, - non : mon gros problème, c’est ma motivation personnelle.
On en parle très peu, de ça : l’envie. Envie de se lever le matin, de préparer sa classe, d’anticiper un tant soit peu ce qu’on va faire et leur faire faire ; envie d’être avec eux et pour eux ; envie qu’il se passe tous les jours quelque chose avec eux ; envie de leur faire partager ce qui peut être un vrai plaisir, une vraie aventure, cette découverte ensemble de tout ce savoir, là devant eux, comme une immense contrée qu’on va découvrir pas à pas.

Cette envie qui me fuit, s’enfuit au loin. L’écart, gigantesque, entre ce que j’ai prévu de faire avec eux et ce qu’ils en font, réellement… Cette énorme frustration qui m’envahit le soir, juste après la sortie, ce fameux moment entre 17h35 et 17H45. Ils ne sont plus là mais ils sont encore dans ma tête. Pire : je relis mes notes, prises à la hâte dans la journée sur untel ou unetelle. Et le découragement me gagne, avec l’inévitable fatigue physique et morale.

Je sais bien, en pédago averti et presque madré, que ce n’est qu’une question de temps. Qu’il n’y a pas plus ingrat que la pédagogie. Qu'il faut remuer des tonnes de matériaux, parfois, pour n’avoir que quelques milligrammes d’or au bout, ou parfois rien. Qu'on sème et qu'on ne sait pas quand ça va vraiment germer et même si ça va germer un jour …

Mais il y cette question lancinante : pourquoi vais-je au boulot tous les matins à reculons ? Moi qui ai toujours adoré ce métier et qui n’en aurais pas voulu un autre ? Ce n’est pas une question d’âge. On peut, ici comme ailleurs, se renouveler, redémarrer chaque année scolaire avec de nouveaux élèves, de nouveaux enjeux.

Je commence à entrevoir un début de réponse : parce que j’ai bien peur que, pour certains, quoi qu’on tente, il n’y ait déjà plus grand chose à faire. Trop de déterminismes, de handicaps, d’obstacles, d’ornières.

Je sais : c’est terrible à dire, comme ça, froidement. Quand on sait qu’éduquer, c’est justement ne jamais renoncer, toujours espérer, croire à l’impossible, penser l’impensable.

Mais là, cette année, je me force, je me mets un grand coup pied au cul tous les matins de classe. Je m’exhorte, me morigène in petto « Putain mon vieux ! Bouge toi la couenne ! Vas-y, au charbon, encore et encore ! C’est pas maintenant que tu vas renoncer ! C’est un sacré challenge que tu as là…. »

Franchement, là, maintenant, je sais pas ce que ça va donner. Je vais le faire, c’est sûr, j’ai pas bien le choix : un fonctionnaire, fatalement, ça doit fonctionner.

Mais pour l’envie, je crois que ça va être dur. Pas la grande classe, pour 2006-2007.

06 octobre 2006

Eux et nous


Eux tout là haut. Dans les arcanes du pouvoir.

Mesurent-ils vraiment ? Question pertinente posée par un de mes collègues, lors d’une surveillance de récré que nous effectuions tous les deux.

Bien sûr qu’ils mesurent. Ils savent bien ce qu’ils décident et font. Il n’y a pas d’improvisation à ce niveau d’Etat. Sinon ils ne seraient pas là. Déjà. Là haut. Et nous, nous ne serions pas là, en bas. Ce serait l’inverse. Peut-être…

À eux de décider, de trancher. À nous de faire, d’exécuter, bon an mal an, quoi qu’il nous en coûte. C’est la règle du jeu.

Pas bien le choix, d’ailleurs. On peut avoir des états d’âme. Momentanément. On peut défiler dans les rues. Aussi.

Mais, au bout des comptes, on ne peut se défiler. On nous paie pour gérer ce quotidien là. Celui de tous ces enfants qu’on accueille, jour après jour. C’est à la fois un boulot, pour lequel on est rétribué, et aussi une mission. Encore, pour le moment, de service public.

Certes, ça devient de moins en moins évident et ça ne devait sûrement pas l’être plus pour les hussards noirs de lé république partis alors à l’assaut de l’ignorance des campagnes. Ou luttant pied à pied contre le cléricalisme ou, tout simplement, contre la bêtise humaine.

Ils savent tout cela, nos dirigeants. Il y a bien une logique, descendante, qui part de Gilles de Robien pour arriver à Gérard Di Cicco. Quand celui là, en haut et devant micro ou Assemblée, énonce quelque mesure, celui-ci, en bas dans son école de quartier, devant élèves et parents, doit bien les mettre en musique, lesdites mesures. Et, si possible, avec discipline et efficacité. Sans trop d’états d’âme. Les états d’âme n’ont jamais appris aux élèves à lire ou n’ont jamais effectué de règle de trois.

Chacun est donc bien à sa place. Ce n'est pas dans le meilleur des mondes. Franchement, ce n'est pas dans le pire non plus.

On devra s'en contenter.

05 octobre 2006

A grande idée…gros soucis



On le savait que cette loi du 11 février 2005, ça serait pas de la tarte.
On se doutait bien qu’ouvrir toutes grandes les portes des écoles pour y accueillir à bras ouverts les enfants ayant un handicap poserait pas mal de problèmes.
Mais à ce point, personne n’aurait osé l’imaginer.

Personne, bien évidemment, ne peut aller contre cette idée généreuse et si belle en soi : tout enfant, quel que soit son problème, doit être traité à égalité avec les autres. Pourquoi mettre à part un élève parce qu’il n’est pas tout à fait comme les autres ? Après tout, il a autant de droits que tout un chacun !
Donc, on inscrit TOUT LE MONDE – everybody is invited – et après…on gère.
Sauf que le « on » c’est … devinez qui ? A qui est-ce qu’on va refiler la patate brûlante ou le mistigri ? Vous avez trouvé : aux directeurs – et souvent -trices. Ben voyons.
Maintenant que le problème de la direction est définitivement réglé, n’est-ce pas : un PE2
( pas formé du tout) un jour par semaine et 15 € de plus par mois. Roule ma poule : les zécoles sont sauvées.

Elles sont même prêtes à accueillir tout le malheur du monde. Elles le faisaient déjà, remarquez. Mais qui peut résister à cette injonction, ce mot d’ordre venu du plut haut de l’Etat : accueillez, prenez en charge ?

Et comme dans l’armée, ça cascade et ça descend : du chef de l’Etat au ministre puis aux recteurs puis aux inspecteurs d’académie puis aux inspecteurs tout simples puis aux … directeurs . Et voilà, on y est.

Je vous explique pas le tableau – simplifié (sic ) – qu’ils ont osé nous refiler pour nous expliquer la marche à suivre : ça tient dans une page A4, bien remplie la page ; c’est plein de rectangles, d’ovales avec des flèches de partout, en pointillés et en plein . Un vrai chef d’œuvre de bureautique informatique. Le mec qui a fait ça, y a pas à dire, c’est un pro.

Et tout ça pour… un élève.

A ce stade, on peut être soit émerveillé, soit interloqué.

Emerveillé en se disant que, décidément, l’Education Nationale, qu’on critique beaucoup, met vraiment le paquet pour TOUS les enfants de ce pays, quels qu’ils soient.

Interloqué, en se demandant comment on va pouvoir gérer ce bazar au quotidien. Une usine à gaz, à côté, c’est un opinel !

Mais bon : comme nous a dit le CPC ( Conseiller Pédagogique de Circonscription ) très compétent et spécialement habilité au décryptage du modus operandi…cap : la loi a été votée par les représentants du peuple On n’a pas à avoir d’états d’âmes, encore moins des tas d’âmes . On est des fonctionnaires et on doit donc faire fonctionner ce que les représentants du peuple ont adopté.

Exécution !!!!

03 octobre 2006

Contraints de réussite



J’voudrais bien les voir.
Tous ceux qui parlent de contrat de réussite, et qui assènent, décrètent même ça comme si c’était une évidence.
Je te tricote un gentil petit PPRE ( Projet Personnel de Réussite de l’Elève ). Je te convoque les parents et je te leur explique ce pour quoi leur rejeton a droit à tant d’égards du genre : z’inquiétez vous pas, parents concernés et père et/ou mère d’icelui ou d’icelle. Z’êtes pas vraiment arrivés à tirer la substantifique moelle de votre progéniture ? Mais, ensemble, vouzénous, on va y arriver. C’est pas pour rien que ça s’appelle « de réussite ».
On s’y engage par contrat : le contrat de confiance. Ah bon ? ça vous rappelle quelque chose. Oui bon, on vend pas des télés ou des lave-vaisselle. Mais puisqu’on vous assure qu’on va y arriver…

En attendant, PPRE ou pas, pour mes 14 loupiots, toujours là un mois après la rentrée, eh ben, c’est pas gagné d’avance. Je me lève dès potron-minet, voire même plus tôt, pour te leur concocter des fiches aux petits oignons qui soient accessibles et intelligibles à leurs petites cervelles certes en éveil mais tout de même très agitées.
C’est pas du quatre étoiles ; je ne suis certes pas le Bocuse de la pédagogie – loin s’en faut – mais j’essaie de leur composer un menu qui soit appétissant : c’est à dire qu’il faut qu’il leur donne envie de se mettre à table et qu’ils goûtent à tous les aliments que je leur propose : grammaire, vocabulaire, orthographe, lecture, numération, problèmes, technologie. J’y ajoute même une pincée d’arts visuels, un soupçon de lutte, de hockey ou de gym au sol.
Aujourd’hui, ils ont eu bon appétit : certains en ont même redemandé. En plein ramadan !
Comme quoi…