07 octobre 2006

Désir de classe


Cela fait un peu plus d’un mois que nous sommes ensemble, les élèves et moi.
Pour faire court, on va dire que ça va un peu mieux.

À savoir : on commence à entrer dans les apprentissages ; il y a de moins en moins de situations bloquées ; les « manifestations psychiques intempestives » s’estompent, tout doucement, un peu comme un fleuve en crue qui regagne doucement son lit d’origine.
Globalement, disons que la classe est à peu près vivable.
J’essaie, et les collègues avec moi, d’analyser pour comprendre, un tant soit peu. On ne peut en effet s’en tenir à l’amer et ressassé constat : les élèves de maintenant sont plus difficiles que ceux d’avant. Une fois cela dit, et reste à vérifier si c’est vrai partout et tout le temps, il reste à séparer l’irrationnel du rationnel, le ressenti du réellement vécu.

Tenons nous en à ce qui nous concerne, à savoir cette école de quartier.
Premier constat : il faut bien un bon mois que les enfants que nous avons accueillis fin août commencent à prendre conscience que, le portail franchi, ils deviennent des élèves avec les devoirs et les contraintes que cela suppose.
Pour certains, c’est assez facile. Pour d’autres, c’est un peu plus long. Et, pour certains, ça risque d’être encore très long, avec des hauts et des bas.

Mon gros souci, ce n’est pas tant la gestion de ce groupe classe si particulier – et c’est un vrai euphémisme, croyez-moi, - non : mon gros problème, c’est ma motivation personnelle.
On en parle très peu, de ça : l’envie. Envie de se lever le matin, de préparer sa classe, d’anticiper un tant soit peu ce qu’on va faire et leur faire faire ; envie d’être avec eux et pour eux ; envie qu’il se passe tous les jours quelque chose avec eux ; envie de leur faire partager ce qui peut être un vrai plaisir, une vraie aventure, cette découverte ensemble de tout ce savoir, là devant eux, comme une immense contrée qu’on va découvrir pas à pas.

Cette envie qui me fuit, s’enfuit au loin. L’écart, gigantesque, entre ce que j’ai prévu de faire avec eux et ce qu’ils en font, réellement… Cette énorme frustration qui m’envahit le soir, juste après la sortie, ce fameux moment entre 17h35 et 17H45. Ils ne sont plus là mais ils sont encore dans ma tête. Pire : je relis mes notes, prises à la hâte dans la journée sur untel ou unetelle. Et le découragement me gagne, avec l’inévitable fatigue physique et morale.

Je sais bien, en pédago averti et presque madré, que ce n’est qu’une question de temps. Qu’il n’y a pas plus ingrat que la pédagogie. Qu'il faut remuer des tonnes de matériaux, parfois, pour n’avoir que quelques milligrammes d’or au bout, ou parfois rien. Qu'on sème et qu'on ne sait pas quand ça va vraiment germer et même si ça va germer un jour …

Mais il y cette question lancinante : pourquoi vais-je au boulot tous les matins à reculons ? Moi qui ai toujours adoré ce métier et qui n’en aurais pas voulu un autre ? Ce n’est pas une question d’âge. On peut, ici comme ailleurs, se renouveler, redémarrer chaque année scolaire avec de nouveaux élèves, de nouveaux enjeux.

Je commence à entrevoir un début de réponse : parce que j’ai bien peur que, pour certains, quoi qu’on tente, il n’y ait déjà plus grand chose à faire. Trop de déterminismes, de handicaps, d’obstacles, d’ornières.

Je sais : c’est terrible à dire, comme ça, froidement. Quand on sait qu’éduquer, c’est justement ne jamais renoncer, toujours espérer, croire à l’impossible, penser l’impensable.

Mais là, cette année, je me force, je me mets un grand coup pied au cul tous les matins de classe. Je m’exhorte, me morigène in petto « Putain mon vieux ! Bouge toi la couenne ! Vas-y, au charbon, encore et encore ! C’est pas maintenant que tu vas renoncer ! C’est un sacré challenge que tu as là…. »

Franchement, là, maintenant, je sais pas ce que ça va donner. Je vais le faire, c’est sûr, j’ai pas bien le choix : un fonctionnaire, fatalement, ça doit fonctionner.

Mais pour l’envie, je crois que ça va être dur. Pas la grande classe, pour 2006-2007.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bravo pour ces pages libres que j'ai à la fois plaisir à lire mais aussi peine à croire parfois et peine pour vous les maîtres.
Il vous faut donc du courage comme le p'tit cheval blanc ,tous derrière et lui devant...Mais sans le Maître où en seraient-ils et ke feraient_ils tous ces petits "soldats en chocolat" avec leurs caillases? Encore moins bien.